De ce qui s’est passé exactement le 26 septembre 2020, et qui a coûté la vie à Victorine Dartois, on sait encore très peu de choses. Et sans doute est-il préférable de ne pas chercher à étaler publiquement toute l’horreur des faits. Un suspect est passé aux aveux et a reconnu le meurtre. D’après la presse, il s’agit d’un père de famille.
Ma première pensée à cette annonce a été que ce meurtre aura fait de nombreuses victimes, à des degrés divers. La principale, la vraie victime, avant tout : Victorine, dont le visage resplendissant sur les photos rend la mort plus insupportable encore, même pour ceux qui ne l’ont pas connue. Puis la famille de Victorine, également. Comment accepter de perdre ainsi son enfant, sa sœur ?
Mais à cette annonce, j’ai pensé aussi à l’entourage de ce meurtrier. À ses enfants en particulier, s’il en a bien. Ils vont désormais grandir avec le poids de savoir que leur père est un assassin. Et l’on pourra sans doute compter sur des âmes délicates pour le leur rappeler, si jamais ils venaient à l’oublier. Ils ne sont coupables de rien, mais ils en paieront le prix quand même. Et sa conjointe aussi – en lui accordant, dans le doute, le crédit de l’innocence. Qu’a-t-elle ressenti en apprenant que celui qu’elle aimait était un meurtrier ?
Combien de vies cet homme a-t-il ainsi ravagées d’un seul acte ?
Depuis l’annonce de la disparition de Victorine, en particulier depuis que j’ai appris qu’elle était, avec sa famille, engagée dans sa paroisse, je repense beaucoup à une autre histoire, vieille d’un siècle. Celle de Maria Goretti. Bien sûr, il faut préciser ici que rien ne dit que ce soit la même histoire. Victorine est-elle morte sous les coups de son meurtrier parce qu’elle se refusait à lui ? Ce n’est qu’une possibilité. Je n’ignore pas non plus que la vie de Victorine n’était pas celle de Maria Goretti. Je ne cherche pas à en faire une martyre et ce n’est sans doute pas ce que souhaitent ses parents.
Mais si l’histoire de Maria Goretti me revient à l’esprit, c’est aussi en pensant au coupable. L’annonce des aveux par la presse a aussitôt déchaîné la fureur des réseaux sociaux. On veut le nom ! La photo ! Derrière ces cris, c’est une pulsion de vengeance qui éclate. Ce n’est pourtant pas le message des proches de la victime. Comme souvent, d’ailleurs, les parents des victimes sont plus mesurés que les procureurs anonymes qui s’excitent derrière leur écran. Les foules ont rarement brillé par leur sens de la mesure ni de la justice. Car cette justice revendiquée à coups de hashtags n’est pas la justice, mais la vengeance.
J’ai repensé à Maria Goretti car son histoire en contient une autre : celle de son meurtrier. Qui n’est pas moins édifiante. La vindicte populaire avait failli régler son sort à Alessandro Serenelli. Il fut ensuite arrêté. Mineur au moment fait, il ne fut condamné qu’à 30 ans de prison, et en fit effectivement 27. Il se retira ensuite dans un couvent où il acheva discrètement sa vie, à l’âge de 88 ans, non sans avoir assisté à la béatification puis à la canonisation de sa propre victime, aux côtés de la mère de celle-ci.
Car le plus exceptionnel dans cette histoire, c’est la véritable conversion d’Alessandro Serenelli, au fil de ses années de pénitence, marquées par le pardon accordé par Maria elle-même à son agresseur, juste avant sa mort. Pardon renouvelé par la mère de Maria, et qui a touché Alessandro Serenelli au plus profond de son être. À l’approche de sa mort, Alessandro a écrit un texte touchant, que je recopie à la fin de ce billet, exprimant, au sens le plus fort que ce terme peut avoir, sa contrition.
Être chrétien est souvent aller à contre-courant. Dans le flot des aboiements de vengeance que j’ai lus ces derniers jours, je l’ai senti fortement. Affirmer l’espérance d’une rémission est une folie pour les uns, un scandale pour d’autres – qui ne rêvent que de tuer à leur tour. Comme si cela pouvait rendre la vie à Victorine. Comme si cela pouvait réparer quoi que ce soit.
Je reviens à Victorine. Encore une fois, ce n’est pas la même histoire. Nous ne connaissons rien du meurtrier, de son passé, et encore moins de son avenir, qui n’est pas écrit. Justice doit être faite pour lui, sans faillir, sans vengeance – comme elle le fut pour Serenelli. Mais, chrétiens, nous devons garder au cœur, malgré toute l’horreur que nous inspirent les faits, l’espérance que « justice et paix s’embrassent » et que Victorine, désormais auprès du Père, intercède pour chacun : pour l’apaisement de ceux qui l’ont aimée, et pour la conversion de son meurtrier, et non pour sa mort.
Testament d’Alessandro Serenelli
« Je suis âgé de presque 80 ans, et ma journée va bientôt se terminer. Si je jette un regard sur mon passé, je reconnais que dans ma première jeunesse j’ai pris un mauvais chemin : celui du mal qui m’a conduit à la ruine ; j’ai été influencé par la presse, les spectacles et les mauvais exemples que la plupart des jeunes suivent sans réfléchir, mais je ne m’en souciais pas. J’avais auprès de moi des personnes croyantes et pratiquantes, mais je ne faisais pas attention à elles, aveuglé par une force brutale qui me poussait sur une route mauvaise. À vingt ans j’ai commis un crime passionnel, dont le seul souvenir me fait encore frémir aujourd’hui.
Marie Goretti, qui est aujourd’hui une sainte, a été le bon ange que la Providence avait mis devant mes pas. Dans mon cœur j’ai encore l’impression de ses paroles de reproche et de pardon. Elle a prié pour moi, intercédé pour moi, son assassin.
Trente ans de prison ont suivi. Si je n’avais pas été mineur, j’aurais été condamné à vie. J’ai accepté la sentence méritée ; j’ai expié ma faute avec résignation. Marie a été vraiment ma lumière, ma Protectrice ; avec son aide j’ai acquis un bon comportement et j’ai cherché à vivre de façon honnête lorsque la société m’a accepté à nouveau parmi ses membres. Avec une charité séraphique, les fils de saint François, les frères mineurs capucins des Marches, m’ont accueilli parmi eux non comme un serviteur, mais comme un frère. C’est avec eux que je vis depuis 1936.
Et maintenant j’attends avec sérénité le moment où je serai admis à la vision de Dieu, où j’embrasserai de nouveau ceux qui me sont chers, où je serai près de mon ange gardien et de sa chère maman, Assunta.
Puissent ceux qui liront ma lettre en tirer l’heureuse leçon de fuir dès l’enfance le mal et de suivre le bien. Qu’ils pensent que la religion avec ses préceptes n’est pas une chose dont on puisse se passer, mais qu’elle est le vrai réconfort, la seule voie sûre dans toutes les circonstances, même les plus douloureuses de la vie.
Paix et bien ! »
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