« Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres ;
Adieu, vive clarté de nos étés trop courts ! »
Le passage à l’heure d’hiver, intervenu quelques jours avant, a renforcé cette impression de plonger dans l’hiver. La lumière disparaît plus tôt. Nous voici entrés dans le temps de la nuit.
« Tout l’hiver va rentrer dans mon être. »
Baudelaire ne s’y est pas trompé et, dans son chant d’automne, trace la perspective vers laquelle semble nous tourner ce passage brutal : la mort – qui d’ailleurs n’apparaît pas nécessairement comme une fin ultime, comme un anéantissement : « Ce bruit mystérieux sonne comme un départ. »
C’est à ce moment de l’année que le calendrier liturgique juxtapose la fête de la Toussaint et la commémoration des fidèles défunts. Juxtaposition source d’une certaine confusion, pas si innocente que cela. Si les deux sont bien distinctes, leur lien paraît assez intuitif : notre espérance ultime pour tous les défunts qui nous ont précédé n’est-elle pas qu’ils aient rejoint cette « communion des saints » et qu’ils partagent désormais la gloire de Dieu ?
Il est fréquent de réfléchir sur la proximité de ces deux fêtes. La littérature est abondante sur le sujet. Mais ce qui m’a marqué cette année, c’est l’ordre des deux fêtes : la Toussaint d’abord, puis la Commémoration des fidèles défunts ensuite.
D’abord, la Toussaint, qui nous offre la contemplation des « fins ultimes », avant de faire ensuite mémoire de nos proches disparus. Comme si liturgie voulait inverser la perspective habituelle, où c’est la mémoire du passé qui éclaire le présent et permet de préparer l’avenir.
Avec cette inversion, tout se passe comme si c’était l’avenir – notre destinée commune, notre vocation à partager la vie divine – qui orientait notre compréhension du passé, et notamment la séparation des êtres chers. L’avenir qui éclaire le passé. Comme un exemple, parmi tant d’autres, du grand « renversement » dont le christianisme est si fécond.
Mais sans doute cette réflexion est-elle encore réductrice. Car la contemplation que nous offre l’apocalypse n’est pas seulement, peut-être même pas fondamentalement, un « futur chronologique », mais le dévoilement d’une réalité ultime qui est déjà à l’œuvre. Les Béatitudes sont proclamées au présent : même si la motivation est future (« ils recevront », « ils obtiendront », « ils seront », « ils verront »…), le bonheur est pour maintenant : « Heureux êtes-vous », « Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse »).
À de nombreuses reprises (notamment en saint Matthieu), Jésus indique à ses disciples que « le royaume des cieux est proche ». On pense bien sûr à une proximité géographique, et même physique – surtout pour ceux qui étaient proches de Jésus à ce moment-là. Mais j’ai toujours eu en tête que cette proximité pouvait être aussi temporelle : le royaume des cieux n’est pas un futur lointain. Avec l’incarnation, il commence ici et maintenant, si nous vivons les béatitudes – cette « grande charte du christianisme ».
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