Je ne crois pas du tout aux analyses, qui se sont multipliées ces derniers jours, qui nous expliquent que le décès de Benoît XVI ouvrirait une nouvelle phase du pontificat de François, comme si François avait été empêché depuis dix ans par la présence Benoît XVI – allant même jusqu’à parler d’un « nouveau départ ».
C’est peut-être une illusion que les aficionados de Benoît XVI – qui, n’ayant jamais vraiment accepté sa renonciation, avaient fait de l’ancien pontife un « contre-pape » et s’acharnaient à dresser l’un contre l’autre – peuvent finir par imprimer dans l’air du temps. À l’inverse aussi, peut-être certains qui espéraient plus de réformes encore de la part de François, déçus qu’il ne remette pas en cause certains points de doctrine, ont cru pouvoir trouver une explication dans la présence de l’ancien gardien de la doctrine de la foi. On l’a vu notamment lorsqu’il fut question d’autoriser, ponctuellement, l’ordination d’hommes mariés.
Qu’il y ait eu des différences notables de sensibilité, d’approche, d’analyse, de gouvernement et de tout ce qu’on veut entre les deux papes, c’est une évidence. Cela a toujours été le cas, de Léon XIII à Pie X, de Pie XII à Jean XXIII, de Paul VI à Jean-Paul II par exemple. Chaque pape est unique et gouverne l’Église à sa façon, sous l’inspiration de l’Esprit qui ne fait pas d’eux des marionnettes anonymes et interchangeables, et en fonction de leur histoire propre, de la situation de l’Église et du monde, qui ne sont jamais les mêmes. À l’occasion, il faudra reparler des grands modèles pour expliquer le déploiement du Magistère : internaliste, externaliste ou contextualiste, puisque finalement ces catégories qui proviennent de l’épistémologie sont assez utiles ici.
Qu’il y ait, jusqu’au sein même du Vatican, des forces ouvertement hostiles à l’action du pape François, c’est une évidence. Mais il est assez clair que Benoît XVI s’en gardait bien, même s’il a pu être (assez honteusement) manipulé à certains moments. Que ces personnalités hostiles aient trouvé en Benoît XVI un champion providentiel pour lui faire endosser le rôle de l’opposant numéro 1, c’est devenu rétrospectivement assez clair et cela montre les limites de ce rôle de « pape émérite » qui n’avait pas été pensé. Si la renonciation des pontifes devait devenir une possibilité ordinaire, il serait fort utile de clarifier le statut de l’ancien pape – en écartant très fortement tout ce qui pourrait laisser entendre une forme de cohabitation de deux papes, à commencer par l’usage du vêtement blanc ou même du titre de « pape émérite ».
Pour en revenir au sujet du moment, donc, je peux évidemment me tromper, mais j’imagine très mal un François ayant rongé son frein pendant dix ans pour fulminer, sitôt Benoît XVI enterré, quelque brûlot qu’il n’aurait pas assumé plus tôt.
D’une part, François a déjà eu l’occasion de prendre des décisions qu’il jugeait devoir prendre même si elles étaient clairement différentes de son prédécesseur (Traditionis Custodes ou Spiritus Domini, pour ne citer que deux exemples assez nets). D’autre part, François n’a jamais cherché à se poser en rupture avec Benoît XVI, reprenant au contraire à son compte nombre de ses intuitions, pour les approfondir et les développer. Et de son côté, si Benoît XVI a pu exprimer des avis qui divergeaient de certaines orientations de François (ce qui était son droit le plus strict), il a toujours veillé à ne jamais contester l’autorité de François (« Il n’y a qu’un seul pape, c’est François »).
Je n’ai pas l’honneur de connaître personnellement le pape François et me garderais donc bien de spéculer sur ses ressorts psychologiques et sur ce qu’il peut ressentir. Mais je vois mal, dans ce qui a précédé, ce qui pourrait accréditer l’idée d’un pape contrarié dans son action qui serait allé contre ses convictions à cause de la présence d’un pape émérite dans l’enceinte du Vatican.
Ce qui est possible, en revanche, c’est que la disparition de Benoît XVI change quelque chose, non pas chez François, mais chez tous ceux qui se revendiquaient de Benoît XVI pour s’opposer à François. Et je crains que cela n’aille pas dans le sens de l’apaisement. Si certains estiment que Benoît XVI aurait pu tempérer les ardeurs réformatrices de François, je crois plutôt que Benoît XVI, en rappelant sa loyauté au pape François, calmait les ardeurs (parfois très violentes) de ceux qui contestaient François.
Ce qui fait que je ne suis pas forcément très optimiste sur la suite du pontificat de François. Mais, au-delà de toutes ces considérations finalement très humaines, il faut nous rappeler que l’Église n’est pas seule et que celui qui dirige la barque, in fine, c’est le Christ.
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