Avant d’entamer la lecture de cet ouvrage, munissez-vous d’un papier et d’un crayon. Car c’est véritablement « un livre dont vous êtes le héros ». Si le titre fait référence à l’état actuel de l’Église, envisagée ici sans fard, le sous-titre – Petit itinéraire spirituel pour rester debout (malgré tout) – est à prendre au sérieux. Il ne s’agit pas, en effet, d’une énième thèse sur la situation de l’Église, que l’auteur aurait sans nul doute pu faire, en sociologue qu’il est. Ce n’est pas non une défense apologétique de l’Église contre les attaques qu’elle subirait ni une imprécation contre ses propres turpitudes, qui pourraient, les unes comme les autres, expliquer l’effondrement qu’évoque le titre.
Le véritable sujet de ce livre, c’est nous-même. Et plus précisément tous les fidèles qui sont profondément touchés non seulement par les scandales à répétition au sein de l’Église, mais encore par la désaffection, voire la disparition progressive de tant d’instances qui ont si longtemps structuré la vie chrétienne. Mais qui, pour autant, ne comptent pas à leur tour abandonner le navire qui prend l’eau et cherchent, dans ce marasme, à trouver une voie pour continuer à suivre le Christ, et qui entendent bien le faire en restant au sein de l’Église.
À ceux-là, Jacques-Benoît Rauscher – tout dominicain qu’il est – propose, ni plus ni moins, des exercices spirituels. Ils prennent la forme d’un parcours en quatre étapes : d’abord « regarder le tableau » puis « mettre à jour nos fondations » avant de « voire et juger » et enfin « agir ». On reconnaît ici le fameux triptyque « voir – juger – agir » que développa en son temps l’action catholique, et dont on voit qu’il est encore fécond. Le point important me semble ici de prendre le temps d’observer, de regarder les choses comme elles sont, et surtout comment elles nous touchent, avant d’en faire une analyse et plus encore d’en déduire des actions possibles.
Chaque étape de ce parcours est structurée selon un même schéma : une réflexion de l’auteur, suivie de deux très courtes séquences, chacune tenant souvent en une petite page à peine :
- « Pour prolonger personnellement la réflexion », où l’auteur nous propose quelques questions très concrètes pour confronter notre propre expérience à la situation évoquée, afin que les réflexions ne restent pas des spéculations abstraites, en quelque sorte extérieures à nous-même. C’est là que le papier et le crayon vous serviront !
- « Pour s’ouvrir à la prière » : la perspective de cet ouvrage est bien spirituelle. Il ne serait pas imaginable, dès lors, de ne pas se tourner vers Dieu pour l’interpeller ou le laisser nous parler.
Quand il est question d’une Église qui s’effondre et menace ruine, on pense évidemment à saint François d’Assise, qui entendit l’appel du crucifié : « Va, répare mon Église, tu le vois, elle tombe en ruine ». Cela aurait pu nous valoir une étonnante synthèse : un itinéraire ignatien, proposé par un dominicain et inspiré par une figure franciscaine. Mais c’est dans sa propre famille spirituelle que l’auteur a trouvé son inspiration : saint Dominique, contemporain de François d’Assise, traversa comme lui une période de crise majeure dans l’Église.
L’itinéraire est ainsi éclairé par des scènes de la vie de la saint Dominique. Non pour proposer des solutions « clefs en main » – la situation du monde et de l’Église n’est pas la même – mais pour alimenter la réflexion en regardant comment le chanoine d’Osma se laissa lui-même toucher par les failles de l’Église en son temps pour discerner une voie nouvelle pour annoncer l’Évangile, tout en restant fidèle à l’Église
Dans l’abondante littérature suscitée par la crise – ou sans doute même faut-il dire les crises – de l’Église, l’ouvrage de Jacques-Benoît Rauscher se distingue à plus d’un titre.
- Par sa sobriété tout d’abord. L’ouvrage est bref, et veille à ne jamais s’emporter dans des vastes analyses ou des lointaines spéculations. Les faits évoqués le sont toujours de façon très mesurée, sans chercher l’éclat ou le sensationnel.
- Par sa capacité à se tenir sur une ligne de crête, en évitant les écueils : le déni ou la banalisation d’une part ; la capitulation ou l’imprécation d’autre part.
- Surtout par sa proposition vraiment spirituelle – mais en commençant par prendre acte de la crise, par accepter de reconnaître ce qu’elle touche en nous – suscitant consternation, colère, honte ou accablement – sans l’enjamber pour se réfugier trop vite dans une lecture désincarnée.
Chaque chapitre aborde des questions fondamentales pour l’Église, qui pourraient mériter des thèses entières. Beaucoup m’ont enthousiasmé, mais je résiste cependant à l’envie d’en faire état ici. Non seulement car je risquerais d’être plus long que le livre lui-même (!) mais surtout parce que l’enjeu véritable de ce livre n’est pas de « refaire l’Église » (comme on « refait le monde ») mais bien de prendre le temps de regarder en nous : ce qui est touché, ce qui émerge, ce qu’il faut accepter de lâcher, ce qu’il faut avoir le courage de reconstruire… Tout cela, en sachant que nous ne sommes pas seuls sur ce chemin. Non seulement d’autres, comme Dominique, nous ont précédés, mais surtout Dieu est avec nous dans ce moment.
C’est sans doute en acceptant de se livrer personnellement à l’exercice proposé par ce livre qu’on en tirera le meilleur. Un livre précieux, vraiment bénéfique. À ouvrir avec un papier et un crayon à la main.
Merci pour cette recension, vous nous donnez envie de lire ce livre !